Cet article est avant tout un rappel des différentes informations, parfois éparpillées, que l’on peut trouver aujourd’hui concernant la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, définitivement adoptée le 30 janvier 2020. Il constitue une brève synthèse et ne se substitue pas à une lecture plus approfondie des textes de lois et des différents -très bons- articles d’Elisabeth Gelot (1), spécialiste des questions juridiques ayant trait à l’économie circulaire dans le bâtiment.
Quelques éléments de contexte
Avant de présenter plus en détail les grands axes de cette nouvelle loi, rappelons qu’elle s’inscrit dans un cadre juridique en construction depuis deux décennies. A partir des années 2000, une directive européenne (2) a en effet fixé pour objectif un taux de valorisation de 70% (en masse) des déchets du BTP à l’horizon 2020. A l’heure du bilan, force est de constater qu’il n’est pas flamboyant; car si les importants tonnages réemployés en remblais par le secteur des TP gonflent -artificiellement ?- les résultats, le monde du bâtiment fait figure de mauvais élève en la matière.De plus, comme nous l’évoquions dans un article précédent (3), le diagnostic déchet, pourtant obligatoire depuis 2011 (4), demeure peu connu des maîtrises d’ouvrage, tout comme la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Ainsi, selon le rapport 2018 de l’ADEME, seulement 5% des opérations concernées par ces obligations respectaient la loi en fournissant ledit diagnostic ! (5)
Cette nouvelle loi porte donc l’ambition de renforcer les exigences actuelles en terme de réemploi tout en garantissant une application plus systématique des obligations légales en la matière. Deux idées phares structurent ce texte :
- l’instauration d’un régime de Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), que nous détaillerons dans un prochain article
- La mise en place d’un diagnostic « déchets » plus efficient
Vers un diagnostic «Produits-Matériaux-Déchets»
Pour résumer les choses simplement, ce nouveau diagnostic pré-démolition ambitionne de fusionner l’actuel « diagnostic déchets » avec un diagnostic « ressources », aujourd’hui absent des textes de loi. Toujours à la charge du maître d’ouvrage, cette nouvelle version lui fournira un réel outil d’aide à la décision, en exposant les solutions de réemploi potentielles permettant d’éviter au maximum la filière « déchet ». Cette priorité pour le réemploi, clairement affichée dans la loi, vient ainsi renforcer la hiérarchie des modes de traitement, insistant sur le fait que ce futur Diagnostic PMD doit fournir en priorité des informations relatives au réemploi et à défaut, indiquer les filières de recyclage. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité d’opter pour ces deux premières voies qu’il faudra alors se référer aux modalités précises d’élimination des déchets.
Second point positif précisé par ce nouveau texte, le statut de déchet pourra être évité grâce à un tri effectué directement sur le chantier. L’objectif est clair : s’extraire au maximum et le plus tôt possible de cette catégorie si pénalisante en droit français que représente le déchet. En reprenant au mot près la doctrine de la DGPR (Direction Générale de Prévention des Risques) en matière de réemploi, la loi dispose désormais que :
Dans le cadre d’un chantier de réhabilitation ou de démolition de bâtiment, si un tri des matériaux, équipements ou produits de construction est effectué par un opérateur qui a la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés, les produits et équipements destinés au réemploi ne prennent pas le statut de déchet.
Autre amélioration significative avancée par la nouvelle loi : elle impose dorénavant à la commande publique le recours aux matériaux de réemploi , actionnant par là même un levier majeur dans un contexte où l’offre de matériau de réemploi semble croitre plus vite que la demande :
Dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiments, [la commande publique] prend en compte les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux de réemploi ou issus des ressources renouvelables. (6)
Les maîtrises d’ouvrage publiques devront donc prolonger un devoir d’éco-exemplarité déjà éprouvé, en massifiant leur recours au réemploi qui reposait jusqu’alors sur leur seule bonne volonté.
Limites opérationnelles
Toutefois, malgré ce périmètre étendu et les avancées promises, certaines zones d’ombres viennent saper les ambitions originelles. Si la question du contrôle des futurs diagnostics était attendue par les acteurs du réemploi, l’absence de sanctions imposables semble « tuer dans l’œuf » ce futur diagnostic PMD. Difficile en effet de penser que cette carence persistante ne nous conduise pas aux mêmes écueils (5% des opérations respectant la loi actuelle, pour rappel…).
Le texte de loi reste également assez évasif quant aux professionnels qui pourront réaliser ces diagnostics. Si l’article en question dispose que ces agents devront présenter « des garanties de compétences », il faudra attendre le futur décret d’application pour connaitre la teneur de ces garanties, tout comme les assurances qui seront alors nécessaires.
Dernière ombre au tableau : la clarification en demi-teinte du statut de déchet que nous évoquions plus tôt. En effet, bien que la loi permette désormais d’éviter dès le chantier qu’un matériau acquiert ce statut si problématique de déchet, elle ne clarifie pas les compétences nécessaires pour effectuer ce premier tri. Si l’opérateur doit pour ce faire avoir « la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés » (7), aucune précision n’est faite concernant cette faculté. Par expérience, nous savons pourtant qu’estimer un potentiel de réemploi nécessite une large connaissance des filières disponibles et une veille constante des pratiques émergentes. De plus, comme le rappelait Rotor dans son ouvrage Déconstruction et réemploi (8), on observe d’importantes variations suivant la personne qui évalue les potentiels de réemploi. Il semble donc primordial que cette « faculté de contrôle » soit à l’avenir précisée par un cadre plus formel.

Nos attentes en tant qu’acteur du réemploi
Tous les espoirs se tournent donc désormais vers ce que le décret d’application doit venir préciser, en particulier :
- Quelles catégories de bâtiments seront concernées par ce futur diagnostic « Produits-Matériaux-Déchets » ? Si le périmètre est désormais étendu, comme le précise le texte, aux « rénovations lourdes », il est nécessaire de clarifier quelles opérations peuvent être ainsi qualifiées.
- Quel sera le cadre, la trame commune à ces futur diagnostics « PMD » ? Rappelons à ce titre qu’actuellement, le flou entourant le contenu attendu d’un diagnostic « déchets » se retrouve dans la grande diversité des réponses proposées, ce qui n’aide pas la filière à gagner en crédibilité…
- Quelles seront exactement ces « personnes physiques ou morales présentant des garanties de compétences et d’assurances » qui réaliseront ces diagnostics ?
Dernière question enfin : quand peut-on attendre ce décret ? Si la feuille de route transmise par le gouvernement précisait déjà que cela ne serait pas avant l’été, l’épidémie de Covid-19 risque de prolonger encore davantage notre attente. Selon Elisabeth Gelot, il faudra sans doute patienter jusqu’à l’hiver 2020 pour savoir si ce décret saura dissiper nos doutes et permettra de répondre de manière efficiente aux défis que nous tentons de relever.
En attendant la sortie des décrets, Bobi Réemploi anticipe d’ores et déjà les exigences futures en réalisant des diagnostics « déchets » et « ressources » : n’hésitez pas à nous contacter !
(1) Lien vers l’article d’Elisabeth GELOT sur le site matériauxréemploi.com, qui revient plus précisément sur le contenu de la loi : : http://materiauxreemploi.com/reemploi-des-materiaux-5-choses-qui-changent-avec-ladoption-de-la-loi-relative-a-leconomie-circulaire/
Lien vers la conférence qu’elle a donnée 15 avril 2020, en partenariat avec le site matériauxréemploi.com :
https://app.livestorm.co/v-pour-verdict-sas/web-conference-loi-economie-circulaire-et-batiment/live?s=a54eaeb0-5307-4e6a-a3e1-4ca3e27a3053#/polls
(2) Art 11 Directive des Déchets, transposé à l’article L.541-1 du code de l’environnement.
(3) https://www.bobi-reemploi.fr/le-diagnostic-des-dechets-issus-de-la-demolition/
(4) pour les bâtiments dont la surface brute est supérieure à 1000m^2
(5) Rapport de l’ADEME concernant les télédéclarations des diagnostics déchets, 2018, p.8.
https://www.optigede.ademe.fr/sites/default/files/rapport_mise_en_oeuvre_teledeclaration_cerfa_14498_2018_0.pdf
(6) Extrait de l’article L228-4 du code de l’environnement.
(7) Extrait de l’article 51 de la loi 2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
(8) Déconstruction et réemploi – comment faire circuler les éléments de construction, ROTOR, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018, p.103.